cocoricovision #98

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« Il est temps que ce Concours se termine, que la Croatie gagne et qu’on passe à autre chose. » C’est ce que j’écrivais le jour de la finale, soulagé que cette épouvantable semaine du 68ème Concours Eurovision de la Chanson se termine enfin.
 
Je me trompais d’ailleurs de vainqueur, car si j’avais pronostiqué que le Croate gagnerait le vote du public et que le Suisse remporterait celui des jurys, je n’avais pas imaginé que pour ce dernier ce serait avec une marge telle qu’il serait irrattrapable. Quoi qu’il en soit l’un comme l’autre faisait un très beau vainqueur.
 
La victoire est donc allée vers le favori des jurys comme l’an passé et par le même truchement. Les jurys s’entendent sur un candidat à qui ils offrent la victoire sur un plateau d’argent en malmenant juste comme il faut celui qui bénéficiera du vote du public. Moi, j’ai toujours considéré que c’est au public de désigner le lauréat.
 
L’Ukraine complète ce Top 3 et ça me fait très plaisir. Nos amis ukrainiens, malgré la guerre, ont prouvé une fois encore leur talent à nous proposer des prestations de qualité, authentiques, capables de nous transmettre une forte émotion. Et quelle image de fin !
 
J’ai également apprécié la chanson de Nemo (dès la première écoute), mais pas sa mise en scène. Ce disque tournant m’a semblé étrange et s’il y a une symbolique, elle m’a échappé. Je me suis toutefois étonné que tout au long ce numéro très athlétique, le jeune Suisse n’ait pas été plus essoufflé que ça, au point que je me suis demandé jusqu’à quel point il s’aidait, ou pas, de chœurs enregistrés sur son PBO (playback orchestre). On nous a juré, croix de bois, croix de fer, que son interprétation était entièrement en direct. Quand bien même il se serait un peu aidé du PBO, ce n’est pas celui qui aura usé le plus de ce procédé, autorisé à l’Eurovision depuis 2021, et qui fait que pour un paquet de prestations on était incapable de reconnaitre la voix en direct de la voix enregistrée. Suède, Irlande, Autriche, et quelques autres ont donc envoyé des artistes bouger danser et juste remuer les lèvres pendant trois minutes, comme dans un vulgaire Lip Sync.
 
Qu’est-ce qui est incontestablement interprété ou joué en direct dans ce que nous entendons à l’Eurovision ? L’orchestre a disparu et les artistes chantent en partie en playback. Ce concours est en train de devenir une vaste blague. Une compétition en toc où l’image importe plus que la voix et la justesse. Je dois virer vieux con, et surtout j’ai la mémoire courte, car ça fait belle lurette que l’Eurovision n’est plus un concours de chansons mais un concours de prestations. Mais j’appréciais qu’au moins toutes les voix entendues soient en direct, même si certains artistes (Sakis Rouvas, Svetlana Loboda et d’autres) se faisaient aider voire carrément doubler, discrètement, par un ou une choriste. C’est dommage pour une compétition qui s’appelle « Concours Eurovision de la Chanson ». C’est un peu comme si on assistait à un match de football où les joueurs peuvent prendre le ballon dans leurs mains.
 
Peut-on compter sur l’UER pour que ça change ? Certainement pas. Avec eux, ça peut même devenir pire. Tant que ça rapporte des sous… Rappelons que la mesure permettant l’utilisation de voix enregistrées avait été adoptée à titre provisoire pour cause de Covid, dans un souci d’hygiène et d’économie (non ce n’est pas une blague) sous l’impulsion de la Suède, qui a toujours considéré l’Eurovision comme le match retour de son Melodifestivalen où pullulent les voix enregistrées. D’ailleurs, la plupart des mesures adoptées récemment par l’UER, toujours mitonnées en sous-main par la Suède, l’ont été officiellement dans un but louable mais en cachant générale-ment une arrière-pensée inavouable. Et malheur à celui qui pose des questions dérangeantes. À Malmö, il n’y a pas eu de conférence de presse de la production et de l’UER, l’année où, encore plus que d’habitude, on avait un tas de questions à leur poser. Ça évite d’avoir à ramer comme l’an dernier pour répondre aux interrogations légitimes de la presse. Mieux vaut s’auto-congratuler via des tweets sur X ou des vidéos cul-culs sur TikTok.
 
L’UER a d’ailleurs fait cette année étalage de son inaptitude à gérer ce concours, notamment en donnant carte blanche à la sécurité israélienne qui a réussi à se mettre à dos toutes les autres délégations par des comportements inappropriés qui auraient nécessité au moins quelques rappels à l’ordre. Elle n’a pas non plus compris que la question de la participation d’Israël à la compétition pouvait se poser avec d’autant plus d’acuité que Gaza se transformait en champs de ruines, comme Marioupol il y a deux ans, et que le nombre de morts civils palestiniens montait en flèche. Le pompon fut cette disqualification du représentant néerlandais pour une altercation avec une camera-woman de la SVT, qui a porté plainte, une plainte qui a été classée sans suite deux mois plus tard comme c’était prévisible. Où est passée la présomption d’innocence ?
 
Au milieu de toutes ces voix enregistrées, nous pouvons, nous Français, être fiers de notre représentant. C’était bien lui qui chantait lors de la finale et il n’avait pas besoin pour ça d’un quelconque artifice. Il a été impérial et sa 4ème place est la juste récompense de son interprétation authentique et généreuse. Si sa voix avait été mieux assurée lors de la jury show, il aurait même pu disputer le trophée à Nemo et Baby Lasagna. Et que c’est bon de se retrouver au moment des votes dans le dernier carré à mathématiquement pouvoir espérer la victoire, trois ans après Barbara Pravi. Le travail entamé par la délégation française en 2016 paye. En moins de dix ans, nous avons obtenu trois Tops 10. C’est encourageant et comme le dit l’un des eurofans dans le « Qu’en avons-nous pensé ? » ça va finir par passer. La Suisse nous montre le chemin à suivre.
 
L’atmosphère était tellement délétère pendant ces dix jours que je me suis entiché de titres légers et joyeux, qu’habituellement je boude, comme l’imprononçable chanson estonienne des 5miinust & Puuluup ou le « Zorra » des Espagnols Nebulossa, mes deux plaisirs coupables de cette édition et surtout mes soupapes d’évacuation du stress.
 
Les trois derniers Eurovision ont marqué l’espace média-tique de leur empreinte. 2021 c’est la naissance du phénomène mondial Måneskin. 2022 c’est le triomphe d’une chanson symbolisant à merveille l’Ukraine résistante et courageuse. 2023 c’est la reconnaissance internationale de Loreen. Et 2024 ? Ça restera l’Eurovision des polémiques. Et Nemo ? Pour le moment son succès reste confidentiel et sa chanson n’a pas encore intégré les playlists des radios. Il est le premier artiste non binaire à remporter la compétition, mais après la transsexuelle Dana International et la drag-queen à barbe Conchita Wurst, cette mise en avant de son identité LGBTQ+ suscite une forme d’indifférence. Le grand public a intégré que chacun est libre de vivre comme il l’entend, alors s’il veut se considérer à la fois il et elle c’est son choix et son droit et finalement tout le monde s’en fiche.
 
Nemo a encore quelques mois pour rebondir après son succès à Malmö. Il s’y emploie par une tournée européenne qui passera notamment par Paris, à L’Alhambra, samedi 22 Mars 2025 à 20h. Mais il devra proposer d’autres titres que « The Code » et ses quelques singles passés, qui ne sont pas terribles d’ailleurs, et s’appuyer sur de nouveaux singles, voire un premier album. Il y a une date butoir : mai 2025. Une fois le Concours suisse terminé, le public passera à autre chose.
 
En attendant, l’Eurovision Junior espagnol se prépare. Rendez-vous le 16 novembre prochain à la Caja Mágica de Madrid. Par ailleurs, on suppose que France Télévisions est déjà lancée dans la préparation de l’Eurovision 2025, qui aura lieu à Bâle. On a hâte de découvrir celui ou celle qui aura la lourde tâche de succéder à Slimane.
 

Farouk Vallette